Comment la digitalisation peut servir la sécurité, la paix et le développement

Mise à jour le 26 mars 2019

Comment la digitalisation peut servir la sécurité, la paix et le développement

Source www.afrique.latribune.fr (Par Dr Issifou Kogui N’Douro, ex- ministre d’Etat chargé de la Défense nationale du Bénin)


Sans paix et sans sécurité, que pouvons-nous faire pour amorcer le développement de ce continent riche par ces ressources naturelles, humaines, et par ses talents cachés ? C’est ce contexte qui explique notre démarche de lier le digital et son apport à la paix et à la sécurité en Afrique.

Le monde connaît depuis ces dernières années des transformations considérables sur les plans économique, social, politique et environnemental, avec les conséquences que l’on connaît : injustice sociale, inégalités flagrantes, chômage, précarité, catastrophes naturelles, violences,… Mais aussi les conflits, le terrorisme et les trafics de toutes sortes. C’est aussi les principales causes de l’insécurité que nous observons sur l’ensemble des continents, particulièrement en Afrique où les menaces émergentes ont pour nom «piraterie», « terrorisme», «trafics de tous genres»,… des phénomènes qui mettent à mal la paix et la sécurité sur ce continent, berceau de l’humanité. Sans paix et sans sécurité, que pouvons-nous faire pour amorcer le développement de ce continent riche par ces ressources naturelles, humaines, et par ses talents cachés ? C’est ce contexte qui explique notre démarche de lier le digital et son apport à la paix et à la sécurité en Afrique.

Lutter contre la criminalité cybernétique grandissante

Depuis plus d’une dizaine d’années, les GAFAM sont présents dans notre vie de tous les jours. Sur le plan professionnel, Google -à travers Gmail et LinkedIn- est devenu un des outils incontournables de travail ; Facebook et Twitter occupent nos journées pour nos contacts personnels et privés. Quid des professions nationales et internationales travaillant sur la thématique de la sécurité et de la paix en Afrique ? Le constat est que sans paix et sans sécurité, rien n’est possible en matière de développement. Le digital est-il en mesure d’accompagner ou de garantir le triptyque paix-sécurité-développement sur le Continent? Peut-on assurer la sécurité d’un pays, d’un continent, sans une meilleure connaissance et une utilisation judicieuse de cette arme qu’est le digital ?

À ces interrogations, l’on pourrait d’emblée affirmer que l’utilisation du numérique est plus que jamais nécessaire sur le plan sécuritaire. C’est d’autant plus vérifié que l’on parle de plus en plus de nos jours de cyberdéfense, de cybercriminalité, et de cybersécurité. Le cyberespace est devenu le nouveau terrain de jeu des grandes puissances, dont les États-Unis et la Chine détiennent le leadership. De plus, l’étude et l’analyse de l’impact justifient le recours à la digitalisation.

Mais qu’en est-il de notre continent où le défi de la sécurité est un des enjeux majeurs ? Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, nos forces de sécurité et de défense -et même notre système judiciaire- sont plus que jamais sous pression permanente à travers les réseaux sociaux, dont l’utilisation -de plus en plus maîtrisée- perturbe leur mode de fonctionnement traditionnel : les rumeurs, les fake news, mais aussi les activistes politiques, la capacité des jeunes à se mobiliser pour une cause, des manifestants à se regrouper pour mener des actions,… sont autant de phénomènes de moins en moins maîtrisables par les forces de sécurité dans nos pays.

L’utilisation du numérique fait des dégâts sur le terrain en matière d’insécurité. Des réseaux de malfaiteurs, de délinquants, de criminels se sont bien constitués via ces outils. L’on parle alors de cybercriminalité dont l’Afrique est en première ligne.

Ainsi, à l’échelle de chacune de nos nations, comme au niveau régional, des groupes se sont créés qui portent des noms tels «Yahoo- boys» ou «barons du cybercrime». Non maîtrisés par les forces de sécurité et de défense, ils sèment la terreur dans nos économies déjà fragiles. Les dégâts pour l’Afrique se chiffrent à plus de «2,7 millions de dollars pour les entreprises et 422 millions de dollars pour les particuliers», quotidiennement grugés par ces bandes très entreprenantes.

La gestion sécuritaire au niveau national, voire régional est donc une véritable préoccupation de nos états aujourd’hui. Il faut pouvoir élaborer des stratégies pour combattre la cybercriminalité. Et pour ce faire, il faut d’abord pouvoir informer et former nos forces de sécurité et de défense, et nos magistrats ; les amener à avoir une meilleure connaissance de l’outil numérique ; les former ensuite afin qu’ils puissent mettre au point les stratégies permettant de lutter efficacement contre cette criminalité cybernétique grandissante.

Qui forme qui ? Et qui sensibilise qui ?

Il n’est un secret pour personne que les «chefs de toutes nos institutions sécuritaires dans nos pays respectifs : armée, gendarmerie, police, renseignement sont pour la plupart de l’ancienne génération et donc de l’ancienne école. Ils ont gardé leurs méthodes traditionnelles d’investigation et d’enquête». Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux, les médias leur rappellent qu’ils sont de plus en plus inefficaces. Demain, avec l’émergence des objets connectés, du big data et de l’intelligence artificielle, l’adaptation -si elle ne l’est pas déjà- deviendra un impératif.

Nos forces de sécurité doivent se mettre au niveau des exigences nouvelles qui appellent leurs fonctions afin d’être plus efficaces dans la mission qui est la leur : assurer la quiétude des populations dans leurs occupations quotidiennes.

Au niveau régional, la sécurité, face à l’influence grandissante du numérique, est devenue un enjeu de taille. Nos leaders, nos dirigeants, nos chefs d’entreprises, nos cadres de l’administration publique utilisent le Web. Ils communiquent sur leurs occupations, leurs prospectives, sur le devenir de leurs peuples, de leurs affaires. Sommes-nous sûrs que toutes ces données ne sont pas exploitées par les puissances occidentales et leurs services de renseignement ?

Comment alors procéder pour contrôler cette forte pénétration du Web sur le continent sans recourir à une stratégie globale ? Aucun de nos Etats pris séparément ne peut y faire face. Les dernières prises de position du Parlement européen sont un exemple à prendre en compte par les Etats africains, réunis au sein de la Commission de l’Union africaine.

Adopter une stratégie commune

Cela dit, il ne faut pour autant avoir peur des GAFAM, mais plutôt s’y intéresser, les accaparer dès aujourd’hui pour le bien de millions de citoyens africains. Un objectif réalisable lorsqu’on sait que les Africains ont de grandes capacités d’adaptation face aux situations les plus pénibles. Cela est dû à notre résilience face aux situations difficiles que nous traversons, à notre «débrouillardise» à survivre, malgré les aléas de la vie.

Aujourd’hui, la pénétration du mobile sur le Continent est plus importante qu’ailleurs. La paysanne de Gando, un village situé au fin fond du Bénin, parle tous les jours à son fils à Paris ; elle reçoit des euros convertis en CFA que lui envoient ses enfants installés dans la métropole française. Pourtant, elle n’a jamais mis les pieds à l’école. Le paysan kényan entretien, soigne ses bêtes à 600 km de Nairobi, via une application de téléphonie mobile dédiée à la filière. Lui aussi n’a jamais mis pied dans une salle de classe.

Les exemples sont légion pour montrer que l’Afrique est plus que prête à entrer de plain-pied dans la quatrième révolution industrielle. Le reste n’est qu’une question de prise de conscience, d’organisation et surtout de volonté politique. Volonté politique pour former des talents et transmettre la connaissance à notre jeunesse, à nos populations. Il faut donc former et s’équiper en conséquence ; il faut surtout anticiper. Le développement inclusif de nos pays est un vecteur essentiel pour la paix et la sécurité en Afrique.

Le développement des entreprises africaines, à travers les plateformes collaboratives que nous offre aujourd’hui la transformation numérique pour une certaine élite du Continent, pousse nos pays vers une économie de plus en plus moderne, avec des taux de croissance qui avoisinent les 10 % dans des pays comme le Kenya, l’Ethiopie, le Rwanda, ou encore la Côte d’Ivoire.

Le continent africain recèle toutes les ressources humaines, matérielles et immatérielles qui lui permettraient de réussir son émergence. Le tout avec dosage, comme le dit avec force le philosophe danois Sôren Kierkegaard : «Oser c’est perdre pied maintenant. Ne pas oser c’est se perdre soi-même». Il faut donc que l’Afrique ose pour la paix et la sécurité à travers le digital et que les Etats africains collaborent pour créer un cadre de réflexion afin de mettre en place une stratégie commune. Il faut le faire, si nous ne voulons pas devenir demain «des réfugiés numériques».

 

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