L’ Afrique, un continent à conquérir pour les entreprises du Sud
Par Didier Gazanhes, le 16 novembre 2018 – source www.lejournaldesentreprises.com
Il y a un an naissait le réseau AfricaLink, lancé par la CCI Marseille-Provence et aujourd’hui dirigé par des entrepreneurs, avec pour ambition de fédérer des entreprises travaillant avec l’Afrique. Certains pays du continent connaissent des taux de croissance de près de 10 % et représentent déjà une terre de conquête pour les entreprises régionales.
Afrique. Il suffit de regarder une mappemonde. L’immensité du continent qui se dresse à nos portes, de l’autre côté de la Méditerranée, fascine et effraie en même temps. Resurgissent inévitablement des images liées à des siècles de colonisation : la lenteur des décisions, l’incompétence de la main d’œuvre, la pauvreté, les innombrables parasites se nourrissant de bakchichs aux douanes, à la justice, à tous les stades d’une administration défaillante et immature… Ajouté à cela l’implacable chaleur, la déliquescence des infrastructures et les entreprises ont vite fait de tourner les talons pour tenter de négocier avec d’autres destinations plus clémentes.
Yves Delafon, président du tout jeune club d’entreprises de Provence et d’Afrique AfricaLink, balaye ces objections d’un revers de main. « L’Afrique a changé. Il faut oublier tout ce que l’on croit savoir sur ce continent. Il y a bien sûr une part de vérité, mais la tendance est largement positive, les comportements s’améliorent. L’Afrique croit en son avenir, et les chefs d’entreprises africains en sont la preuve ».
Encore peu d’échanges commerciaux avec l’Afrique
En 2018, six des dix pays à la plus forte croissance dans le monde sont africains. Le Ghana (8,3%) ou l’Éthiopie sont en tête des économies les plus dynamiques, bouleversant les idées reçues. « Le Rwanda, décimé par le génocide de 1994, pays agricole, sans matières premières, est aujourd’hui l’un des pays les plus digitalisés », plaide Yves Delafon. Les pays émergents ne s’y trompent pas et misent aujourd’hui sur l’Afrique. La Chine, en tête, a atteint, en 2015, les 9 milliards d’euros d’exportation vers ce continent, alors que la France n’y réalise que 3,8 milliards.
Constatation similaire en Région Sud. Si 16 % des dirigeants disent exporter vers le Maghreb, l’Afrique francophone subsaharienne ne représente que 8 % des échanges, selon une étude réalisée en 2016 par la CCI Internationale Paca. Pour les Douanes, en 2016, les échanges de la Région Sud ne sont orientés qu’à 13,8 % vers l’Afrique, qui représente la seconde destination des exportations, devant l’Asie avec 10,1 %.
« L’Afrique, c’est le temps long. Le retour sur investissement n’est pas immédiat, il faut y investir sur la durée. »
« Aujourd’hui, les entreprises privilégient les échanges avec l’Afrique francophone et les pays du Maghreb. Elles restent encore assez frileuses car il existe des problèmes de temporalité, de sécurisation des paiements et de formation, et de nombreux dirigeants de PME ne maîtrisent pas ou peu les règles du commerce international », analyse Cédric Bahon, consultant indépendant qui accompagne les PME et les ETI dans leur développement commercial avec ces pays.
Une histoire partagée
« Europe et France ont un avenir commun avec l’Afrique », ne cesse de marteler le président d’AfricaLink, association portée sur les fonts baptismaux par la CCI Marseille-Provence voici un an, aujourd’hui autonome et gérée par des entrepreneurs des deux rives de la Méditerranée. « Nous sommes voisins et nous avons une histoire partagée, même conflictuelle.
Désormais, ce n’est plus l’Afrique qui a besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’eux… Ignorer l’Afrique serait une erreur. » AfricaLink regroupe plus d’une centaine d’entreprises, européennes et africaines. « Nous ne sommes pas un club d’exportateurs. Nos membres ont l’expérience du commerce international et sont déjà positionnés sur certains pays africains », résume Yves Delafon.
Ainsi, Thierry Modica, dirigeant de la Scop marseillaise Atem (60 salariés – CA : 7 M€), spécialisée dans la maintenance industrielle et notamment la maintenance mécanique des machines tournantes (turbines, moteurs électriques…), envisage de créer une structure locale en Afrique subsaharienne, afin de pouvoir intervenir dans des pays comme le Congo ou le Niger. Son entreprise est présente depuis huit ans au Maroc.
« Le réseau avec les autres membres de l’association est très important. Cela permet d’échanger des adresses, des conseils ou tout simplement de pouvoir rencontrer les bons décideurs et de choisir les bons partenaires commerciaux », souligne de son côté Joël Couderc, fondateur la société marseillaise Digitech (90 salariés – CA : 8 M€), leader des logiciels de gestion
des états-civils qui, depuis quatre ans, s’intéresse au marché africain. « Sur ce continent il y a des projets liés à la gestion des états-civils, financés par l’Europe ou la Banque mondiale. Nous faisons des tests au Mali et nous avons remporté un appel d’offres au Congo », confie-t-il.
Le choix du partenaire
Pour Cédric Bahon, « les choses bougent, des projets se font, mais il faut être conscient qu’en Afrique, c’est le temps long. Le retour sur investissement n’est pas immédiat. Exporter en Afrique, c’est investir sur la durée. Les PME de doivent pas en avoir peur, car de nombreux dispositifs existent pour les aider, notamment sous la forme d’avances remboursables. » Même son de cloche pour Stéphanie Dargent, dirigeante des Laboratoires Cadentia à Aubagne (6 salariés – CA : 1 M€), qui réalise 10 % de son activité avec l’Afrique : « Les choses bougent à grande vitesse, même s’il reste de grandes difficultés. Exporter avec l’Afrique n’est pas plus compliqué qu’une autre destination, comme l’Asie par exemple. »
L’entreprise exporte des eaux de Cologne via des importateurs, à Djibouti et au Sénégal, et envisage d’étendre sa distribution en Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana ou encore au Bénin. « La clé du développement repose sur le choix du partenaire. Les négociations sont ouvertes, franches, plus faciles même qu’en Asie. En revanche, cela prend du temps avant d’en arriver aux sujets business. Il faut s’adapter à leur culture… », conseille-t-elle.
Patience et énergie
Catherine Cherubini, dirigeante et fondatrice du groupe Isolvar (52 salariés – CA : 14 M€), créé en 1991 à Saint-Cannat (Bouches-du-Rhône) et spécialisé dans l’isolation frigorifique et la construction d’entrepôts, confirme la longueur des délais et des prises de décision : « Depuis le début de l’année, nous avons embauché un VIE à 30 % présent en Côte d’Ivoire. Il a identifié des marchés. Les dossiers sortiront, mais il faut s’armer de patience, car ils mettront deux à trois ans avant de se concrétiser. Dans l’agroalimentaire, dans la logistique, il y a tout à faire. Les espoirs de business futurs existent et j’y consacrerai davantage de temps en 2019. Avec l’Afrique, j’ai appris la patience et à vivre le temps présent. »
Même enthousiasme pour Remi Bosc, directeur général d’Arethuse Geology (10 salariés – CA : 1M€), à Aix-en-Provence, et géologue consultant. Il a créé l’entreprise en 2011 alors qu’il travaillait sur le sol africain comme freelance.
« Si je n’avais qu’un conseil à donner : allez-y ! L’Afrique, c’est fantastique. Les gens ont une vraie énergie malgré les difficultés, c’est souvent moins compliqué, il y a tout à faire et les gens sont demandeurs. Attraper des marchés est tout aussi difficile qu’ailleurs. En revanche, tout est fait, dans certains pays, pour faciliter la création d’entreprises. Ainsi, en Côte d’Ivoire, vous pouvez créer une société en deux jours avec un capital minimum. Au Soudan, c’est plus compliqué, mais il y a là-bas moins d’une dizaine de PME françaises et en faisant partie des premiers, nous pouvons jeter les bases d’une relation de confiance de long terme. »