Migrations : et si l’opinion internationale changeait de perspective ?

Mise à jour le 28 mars 2019


Vue d’Europe, la migration africaine représente une crise de grande ampleur et déclenche de dangereuses tourmentes politiques. Pourtant, vue d’Afrique, elle reste une question d’abord et avant tout africaine. En effet, une part écrasante – 80%- des migrants africains restent sur le continent.

Peu le savent dans l’hémisphère Nord, mais l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Kenya et l’Éthiopie sont les principaux pays d’accueil en Afrique et reçoivent largement plus de migrants que n’importe quel pays européen. Ils jouent un rôle de pôles d’attraction sous-régionaux, voire continentaux, en raison de leur dynamisme économique.

Les flux migratoires en Afrique ne sont d’ailleurs pas nécessairement perçus comme un « problème », même si xénophobie et populisme peuvent se manifester, comme on le constate en Afrique du Sud de manière sporadique. Ainsi, d’importantes communautés guinéenne, malienne et cap-verdienne vivent en paix au Sénégal depuis des décennies. Le Maroc a été reconnu par nombre d’États subsahariens pour sa politique de régularisation des migrants, lancée en 2014. Sur un total estimé par les autorités de 35 000 réfugiés et sans-papiers, 28 000 ont soumis un dossier et 25 000 ont été régularisés.

Ancienne, régulière, la mobilité intra-africaine fait même l’objet d’un traitement largement positif sur le continent. Ainsi, le politologue camerounais Achille Mbembe articule depuis plusieurs années sa réflexion autour du « mouvement » des personnes et la notion « d’afropolitanisme ». « La pensée qui vient sera, de nécessité, une pensée du passage, de la traversée et de la circulation », écrivait-il ainsi en 2016 dans son essai Politique de l’inimitié (La Découverte, Paris).

Les pères des Indépendances ont porté le rêve panafricain, incarné dans les années 1960 par la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Aujourd’hui, l’Union africaine (UA) œuvre au décloisonnement du continent. Ces efforts font l’objet d’un consensus intellectuel qui débouchera rapidement sur un consensus politique. L’instauration du passeport unique africain figure parmi les priorités de l’Agenda 2063. Ce projet sera assorti d’une mesure générale de suppression de visas pour les courts séjours des ressortissants africains voyageant à l’intérieur du continent.

Quant à l’African Continental Free Trade Area (ACFTA), la zone de libre-échange de l’Afrique continentale, dont l’accord a été adopté lors du Sommet Extraordinaire de l’Union africaine de mars 2018 à Kigali, elle n’a d’autre finalité que l’intégration économique d’un continent qui commerce encore plus avec l’extérieur qu’avec lui-même : 10,2 % seulement de son commerce extérieur, contre 50% pour l’Asie et 72% pour l’Europe (OMC).

La libre circulation des personnes, dans ce marché unique aux potentiels immenses, ne représente pas seulement un atout majeur en termes de développement économique. C’est aussi et surtout une nécessité, dans un contexte d’essor rapide sur le plan démographique. En 2030, 440 millions de jeunes âgés entre 15 et 35 ans auront fait leur entrée sur le marché du travail africain. La possibilité pour les Africains de se déplacer là où le travail se trouve est essentielle pour résoudre la question du chômage, en permettant une allocation optimale des ressources humaines.

Aujourd’hui, si les migrants quittent l’Afrique, c’est encore essentiellement par manque d’opportunités localement pour ceux qui sont en réalité au seuil de la classe moyenne. Une étude réalisée par l’OIM dans des camps de transit au Niger et publiée en 2017 a établi que moins de 2% des migrants en route pour l’Europe étaient sans emploi avant de quitter leur pays d’origine, ce qui démontre que le problème ne provient pas de leur capacité à s’insérer dans l’activité économique, mais, entre autres, de la possibilité de trouver un emploi satisfaisant. Il est également établi que ces migrants sont globalement plus instruits que la population africaine en général.

Il revient donc aux États africains de créer les conditions nécessaires à la création d’emplois décents en nombre suffisant, en jouant notamment plus volontairement la carte de l’intégration régionale. L’essor des classes moyennes tire déjà une partie de la demande sur les marchés intérieurs, mais bien des aspects de la croissance africaine restent à construire, avec des routes, des lignes aériennes, des chemins de fer, des politiques fiscales, ou encore l’harmonisation à l’échelle du continent des cadres de certification de la formation professionnelle, ou encore la promotion du tourisme intra-africain.

C’est alors que ce capital humain qui nous échappe pourrait déclencher la transformation de nos économies et les migrations intra-africaines seraient alors mieux à même de capter la formidable énergie de la jeunesse du continent, au meilleur bénéfice de tous les États africains.

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