Didier KLING, Président de la CCI Paris Île-de-France :
« Tous nos chefs d’entreprise nous disent que l’Afrique
fait partie de leurs projets d’avenir ! »
Entretien exclusif avec Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (APP)
@alfredmignot | @africa_presse
Didier KLING, Président de la CCI Paris Île-de-France (IDF). © F. Daburon
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Article original issu de : https://www.africapresse.paris/Didier-KLING-President-de-la-CCI-Paris-Ile-de-France-Tous-nos-chefs-d
Alors qu’elle pèse un tiers du PIB français, la Région Paris Île-de-France (IDF) n’est encore que modestement impliquée en Afrique. Mais l’appétence exprimée par ses chefs d’entreprise est forte, et la CCI Paris IDF participe déjà à de nombreux événements plaidant pour renforcer les liens avec le Continent. Tour d’horizon, avec le Président Didier Kling.
Quelle est aujourd’hui l’importance de l’Afrique pour les entreprises de Paris et d’Île-de-France ?
Didier KLING – Rappelons d’abord que le poids économique de Paris et de l’Île-de-France est évidemment important, puisque nous réalisons un tiers de la production intérieure française et que, notamment au titre des échanges extérieurs, Paris Île-de-France, ce sont environ 150 milliards d’euros d’importations et 104 milliards d’exportations. La Chambre de commerce de Paris Île-de-France est un établissement public, dont la mission est de représenter les quelque 800 000 entreprises de notre territoire. Elles sont de droit nos ressortissants, elles votent pour désigner leurs représentants.
Donc, c’est une chambre importante, mais si l’on regarde aujourd’hui ses principaux clients et zones couvertes par ses entreprises, on observe que les États-Unis se placent très largement en tête, suivis par le Royaume-Uni et l’Allemagne. Et l’on constate aussi que l’Afrique ne figure pas parmi nos dix premiers partenaires.
Du point de vue quantitatif, la part de l’Afrique apparaît pour nous très modeste à ce jour. Pour autant, tous les chefs d’entreprise que nous interrogeons, et qui sont orientés à l’exportation ou à l’importation, nous disent que l’Afrique fait partie de leurs préoccupations et de leurs projets d’avenir, parce que c’est un continent qui se développe.
Cela veut dire que nous avons, du travail de conviction et d’implantation à organiser sur ce territoire.
Justement, face à l’appétence exprimée par les chefs d’entreprise, comment la CCI Paris IDF projette-t-elle de développer les relations de ses entreprises avec l’Afrique ?
Didier KLING – Avant tout, pour qu’un chef d’entreprise accroisse ses relations avec une zone ou un pays, il faut que trois conditions préalables soient satisfaites. La première : est-ce un pays ou une zone en croissance ? Oui, il se trouve que l’Afrique est en croissance, par sa démographie et son économie, c’est un continent extrêmement vivant.
Deuxième condition : est-ce une zone de sécurité pour les transactions ? Oui, je crois que l’Afrique s’est globalement organisée de manière à apporter cette sécurité, tant économique que juridique, on le perçoit bien avec les évolutions très fortes du continent et des différents pays qui le composent.
La troisième question est évidemment de savoir si les biens ou services de l’entreprise sont susceptibles d’intéresser les marchés africains, ou à l’inverse quels produits africains peuvent l’intéresser ?
Dans cette perspective, notre rôle de CCI consiste à identifier les entreprises en mesure d’exporter, à évaluer avec elles quels produits et services sont susceptibles d’intéresser le marché ou la cible visés, et ensuite à l’accompagner pour la mise en œuvre de ses objectifs.
C’est là que la CPCCAF, (La Conférence permanente des Chambres de Commerce Africaines et Francophones, ndlr), dont la CCI IDF est membre fondateur et également partenaire, joue tout son rôle – rappelons ici qu’elle a été créée dès en 1973 par trois présidents le Français Georges Pompidou, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, dans le but de créer le lien avec l’ensemble de la zone francophone, et tout particulièrement l’Afrique, de manière que nos entrepreneurs puissent s’y sentir à l’aise. J’ajoute que le fait que nous avons la langue en partage est aussi un élément de simplification et de facilitation des relations économiques.
Depuis son discours à l’université de Ouagadougou, le Président Emmanuel Macron fait montre d’un grand intérêt pour le Continent, mais ces dernières années, et encore récemment, on a pu voir s’exprimer en Afrique de l’Ouest une certaine animosité ou défiance à l’encontre d’entreprises françaises. Qu’en pensez-vous ?
Didier KLING – Je n’ai pas le sentiment d’une défiance qui irait croissant… En revanche, j’observe deux choses. D’une part, que l’Afrique, terre en développement et en expansion, suscite de ce fait de gros appétits et une forte compétition. Du monde anglophone, bien sûr, mais aussi des Chinois, notamment pour l’extraction des ressources minières.
D’autre part, nos relations avec l’Afrique, empreintes par l’histoire qui nous lie, connaissent une évolution, une mutation. En tant que CCI, nous n’avons pas à intervenir sur l’évolution des relations politiques, mais sur le plan économique, notre rôle est d’accompagner cette mutation. Nous veillons donc à ce que les évolutions soient de nature à apporter de la sécurité, comme je l’évoquais tout à l’heure, sur le plan économique et juridique – c’est en effet un point très important pour l’investisseur, de savoir qu’en cas de défaut d’un client, justice pourra lui être rendue.
Alors oui, nous constatons que nous ne sommes plus les seuls dans un certain nombre des pays, mais après tout, la compétition est source d’émulation, n’est-ce pas ? En revanche, il faut être conscient qu’il n’y a de chasse gardée pour personne, et qu’un certain nombre de critères doivent être remplis. C’est l’incertitude sur ces prérequis qui explique sans doute la diminution du poids du continent africain dans les échanges extérieurs de la France, à l’exception certes de quelques entreprises qui sont leaders de leur secteur et montrent ainsi que c’est possible. En tout cas, il nous faut accepter et assumer cette mutation que nous vivons dans notre relation avec l’Afrique.
La CCI Paris Île-de-France France propose-t-elle des offres spécifiques aux entreprises franciliennes intéressées par l’Afrique ?
Didier KLING – Nous organisons des séminaires très opérationnels, nous participons à des missions et à des salons en lien avec l’agence publique Business France, avec laquelle nous travaillons sur l’exportation dans le cadre très concret des TFE, les Team France Export.
Nous avons par ailleurs des liens directs avec le réseau des 150 chambres de commerce françaises implantées dans autant de pays à l’étranger, et notamment des relations très étroites en Afrique avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, etc. De même, nous avons des relations étroites avec les Chambres de commerce nationales de plusieurs pays africains.
Avec la CPCCAF, que pilote son Délégué général Denis Deschamps, et dont nous sommes partenaires, nous participons à ce que l’on appelle le « compagnonnage consulaire ». Cela consiste à aider nos amis francophones, particulièrement Africains, à organiser dans chacun de leurs pays des chambres de commerce qui, avec les adaptations adéquates, s’inspirent du modèle que nous avons mis en place sur le plan français.
Quelles sont caractéristiques principales du « modèle français » de Chambres de commerce, tel que vous le promouvez avec ce « compagnonnage consulaire », que vous avez déjà déployé au Cameroun, au Togo et à Madagascar ?
Didier KLING – Il y a en effet deux modèles principaux de chambres de commerce au monde, le français et l’anglo-saxon. Le nôtre est plus institutionnel « napoléonien » pourrait-on dire, tandis que le modèle anglo-saxon est fondé sur les associations dont l’adhésion est libre.
Dans le modèle français que nous proposons à nos amis africains, les Chambres de commerce sont des établissements publics dont sont membres de droit les entreprises du territoire et qui, en tant qu’établissements publics, bénéficient de ressources fiscales venant des entreprises.
C’est ce modèle qui fonde le « compagnonnage consulaire ». Et c’est la première action que nous avons menée : qu’il y ait dans chacun de ces pays une chambre de commerce avec une certaine stabilité financière et budgétaire, de manière que cette entité puisse aider au développement économique des pays concernés.
Dans cette démarche, nous avons eu le soutien de l’Agence française de développement, séduite par ce modèle. Nous sommes maintenant dans la deuxième étape qui s’appellele programme européen Archipelago, c’est une aide à la formation professionnelle et entrepreneuriale. L’idée est de transférer aux chambres intéressées les méthodes et outils techniques qui leur permettent d’organiser de la formation sur place, à destination des entreprises de leur territoire.
Vous êtes aussi l’un des opérateurs des Teams France Export. Du côté de Business France, on assume une satisfaction forte sur le bon fonctionnement de ces équipes. Et du côté de la CCI Paris IDF ?
Didier KLING – L’idée fondatrice de la Team France Export, c’est d’avoir un seul point d’entrée pour les entreprises intéressées par l’export.
Les TFE sont ainsi déployées sur tout le territoire, elles représentent dans chaque Région ce point d’entrée unique, et dans le pays cible, c’est notre ambassade avec son service d’appui économique qui tient ce rôle.
Les Team France Export rassemblent des professionnels des CCI, de Bpifrance, de Business France et des services économiques régionaux. Tout cela constitue une seule et même équipe, pilotée par la Chambre de commerce de chaque Région. En Île-de-France, nous disposons de 24 conseillers internationaux, dont 17 proviennent de notre Chambre de commerce.
L’objectif premier des TFE est d’identifier les entreprises susceptibles de s’intéresser à l’exportation : disposent-elles de la capacité financière et des produits adéquats ? les marchés visés sont-ils pertinents ?… Ensuite, il s’agit de déployer toutes les actions d’accompagnement utiles pour aider l’entreprise à se projeter, à commencer par la mise en relation avec les services économiques de notre ambassade et la Chambre de commerce locale, pour que l’on puisse trouver sur place clients et fournisseurs, selon le cas, ou encore des partenaires
Avec la CCI Paris IDF, vous soutenez le récent Appel de la CPCCAF, qui demande à faire partie de la Team France Développement. Quels sont les arguments plaidant en ce sens ?
Didier KLING – La CPCCAF connaît bien le terrain, notamment africain, puisqu’elle est composée de l’ensemble des chambres de commerce locales francophones. Donc, outre la coopération économique, elle peut à l’évidence jouer un rôle dans l’accompagnement des échanges internationaux des entreprises.
Mais elle ne peut pas être opérateur de la Team France Export, puisque celle-ci est déployée dans les régions françaises. En revanche, lorsqu’on se projette dans un pays, il y a évidemment un point d’entrée, le service économique de l’ambassade qui organise la mise en relation avec l’écosystème local, avec le concours de la Chambre de commerce française à l’étranger et également de la Chambre de commerce et d’industrie locale, qui sont les entités connaissant parfaitement les entreprises du territoire. C’est par ce biais que les chambres africaines membres de la CPCCAF peuvent s’intégrer dans la TFE.
On observe aussi que certaines CCI locales ou régionales françaises sont « jumelées » avec des CCI africaines…
Didier KLING – Oui, il y a aussi des relations bilatérales directes entre CCI françaises et africaines, y compris pour des échanges qui peuvent être plus larges que le cadre de la CPCCAF.
Quel est en 2021 l’agenda Afrique de la CCI Paris Île-de-France, concernant les grands événements ?
Didier KLING – À ce jour, les événements importants programmés relatifs à l’Afrique, et auxquels nous participerons sont, dans l’ordre chronologique : la seconde phase du Forum Afrique du CIAN, prévue en présentiel pour le 1er juillet ; le Sommet Afrique-France à Montpellier, du 8 au 10 juillet, en présentiel et distanciel ; le BIG de Bpifrance, annoncé pour le 7 octobre à l’Accor Arena Paris, et Ambition Africa, à Bercy, les 23 et 24 novembre.
Mais le premier événement important en date est le Sommet sur le financement de l’Afrique, qui se tiendra à Paris le 18 mai prochain…
Et il y a aussi une multitude d’actions destinées à mobiliser les entreprises. Par exemple, tout récemment, le 13 avril, unwebinaire organisé par la CPCCAF et l’OIF, sur le thème « Développer le partenariat économique avec l’Afrique : un projet francophone »… Nous figurons toujours parmi les acteurs de tous ces événements, et d’autres encore, parce qu’on y croit, vraiment !
Pour terminer, quelques mots de plaidoyer sur l’importance de l’Afrique pour les PME françaises… et franciliennes ?
Didier KLING – Bien sûr, quelques grandes entreprises françaises sont fortement présentes en Afrique, et l’on s’en réjouit. Mais l’enjeu d’avenir est que nos PME, qui sont moins équipées et structurées que les grands groupes, puissent aussi s’investir avec l’Afrique. Et la réponse que l’on apporte à la CCI Paris IDF est bien sûr positive, car l’Afrique est un marché en développement, très prometteur.
À ce propos, souvenez-vous de l’excellent essai de l’Académicien français et ancien ministre Alain Peyrefitte, qui dès 1973 annonçait « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera ».
Eh bien, c’est chose faite aujourd’hui, la Chine est éveillée ! Et je crois qu’il faut s’attendre à peu près à la même chose avec l’Afrique. C’est pourquoi il faut y aller, sans tarder, et ceux qui le font aujourd’hui en tireront la récompense dans les toutes prochaines années.