Les relations Afrique-Asie : éclairage pluriel

Mise à jour le 28 mars 2018


Les relations Afrique-Asie : éclairage pluriel

Ce mercredi matin, à l’EHESS, les relations entre l’Asie et l’Afrique ont de nouveau été au cœur du débat. Thierry Pairault (CNRS), Kadidiatou Gazibo (Université de Tahoua, Niger) et Kae Amo (EHESS, FFJ-IMAF), nous ont apporté un éclairage pluriel sur la nature des relations entre les grandes nations asiatiques présentes en Afrique, ainsi que les risques et les opportunités que cette présence implique pour le continent africain.

Le poids de la francophonie dans les relations sino-africaines.

La semaine dernière était celle de la francophonie, et pour faire écho à cet évènement, Thierry Pairault a choisi, ce matin, d’ouvrir le débat en s’interrogeant sur le poids de la francophonie dans les relations sino-africaines.

En effet, on a pu assister par le passé à une volonté des gouvernements français et chinois de travailler ensemble en Afrique, comme si le mode de fonctionnement de l’économie hexagonale était comparable à celui de l’empire du Milieu. Or, ces deux économies se sont transformées de manière si drastique depuis le siècle dernier que ce modèle de coopération apparaît aujourd’hui comme dépassé. On peut donc légitimement s’interroger sur l’intérêt de persister à considérer les relations sino-africaines sous le prisme de la francophonie.

Pour répondre à cette interrogation, les recherches statistiques entreprises par T. Pairault montrent de façon explicite que de nos jours, les investissements chinois ne répondent plus à une logique francophone, mais plutôt à celle de la richesse. En effet, les investisseurs chinois se tournent avant tout vers les pays aux PIB les plus importants : l’Algérie, le Soudan, le Nigéria, l’Angola, la Zambie et l’Afrique du Sud représentent à eux seuls 58% des investissements chinois engagés sur le continent. La francophonie n’est donc pas un facteur explicatif en soi, et elle ne joue pas un rôle spécifique dans les choix d’investissements entrepris par les Chinois.

Toutefois, Thierry Pairault a tenu à mentionner le rôle important que la francophonie peut jouer sur le théâtre de la régulation et des normes. De nombreuses nations africaines francophones, telles que l’Algérie, demandent à leurs investisseurs chinois des infrastructures répondant aux normes françaises (comme pour la construction de la Grande mosquée d’Alger, ou encore de l’autoroute Est-Ouest), qui font intervenir du matériel et des sous-traitants français. Si elle ne guide donc pas, en amont, les choix des investisseurs, la francophonie peut tout de même se révéler un outil d’avenir pour les relations sino-africaines sur le théâtre de la régulation.

Les États asiatiques en Afrique. Risques et opportunités.         

Suite à l’intervention de T. Pairault, Mme Kadidiatou Gazibo, de l’université de Tahoua au Niger, a choisi d’apporter un éclairage différent sur les relations entre l’Asie et l’Afrique, en orientant la réflexion sur les risques et les opportunités (du point de vue africain) de ce nouveau paradigme économique.

Même si elles existaient déjà de façon informelle auparavant, les relations formalisées entre l’Asie et l’Afrique ne débutent que dans les années 90. Ce sont des relations que les Africains, mais aussi les Asiatiques, estiment de part et d’autre gagnant-gagnant. Mais si les investissements asiatiques offrent bel et bien des opportunités économiques pour le développement de l’Afrique, ils induisent aussi un certain nombre de risques qu’il faut considérer pour obtenir une vision plus réaliste, mesurée et objective des risques et des opportunités qu’impliquent les présences asiatiques en Afrique.

L’arrivée des investisseurs asiatiques en Afrique, en particulier des investisseurs chinois, a tout d’abord eu le mérite de faire émerger des offres différentes sur le marché, ainsi qu’un certain niveau de concurrence entre investisseurs asiatiques et européens, ce qui permet aujourd’hui aux pays africains d’avoir une plus grande marge de manœuvre dans les négociations. La seconde opportunité de cette ouverture aux capitaux asiatiques réside dans la diversification des investissements réalisés sur le continent. Les pays européens, dont la présence en Afrique est beaucoup plus ancienne, avaient toujours majoritairement cantonné leurs investissements au secteur primaire. Or, certains pays asiatiques comme la Corée et surtout le Japon, ont beaucoup parié depuis les années 90 sur l’aide au développement via des investissements dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Aujourd’hui, les secteurs où les investissements sont les plus importants sont la technologie, les médias et télécommunications ; les produits de consommation ; les services financiers ; l’immobilier, l’hôtellerie, la restauration et la construction. Le secteur de l’extraction minière et du métal a cessé de faire partie des dix premières secteurs recevant des IDE.

Mais suite à ce constat plutôt positif, l’intervenante explique qu’en réalité, la présence asiatique constitue aussi un réel risque pour l’Afrique, ce sur plusieurs plans. D’abord, on remarque que l’introduction progressive de produits asiatiques sur les marchés africains fait concurrence aux produits manufacturés locaux. Vendus moins chers, car produits en plus grande quantité, ils annihilent la capacité des industries africaines à faire face à la concurrence des firmes asiatiques. Le second point soulevé par K. Gazibo concerne les transferts de technologie, qui sont souvent absents des relations Chine-Afrique. En effet, lorsque les investisseurs chinois construisent des routes ou des barrages, les travailleurs africains participent certes au travail manuel de construction, mais les ingénieurs et architectes locaux sont toujours absents du processus et ne peuvent donc pas bénéficier d’un quelconque transfert de connaissances. De plus, les investisseurs chinois, généralement peu regardants sur le respect des droits de l’homme, de la justice et de la transparence, ne contribuent pas à l’amélioration des conditions de travail de la main d’œuvre locale. Enfin, le troisième risque soulevé par K. Gazibo est celui de l’expropriation et de l’accaparement des terres. L’achat massif de terres agricoles par les investisseurs chinois pourrait conduire, à terme, à l’établissement d’une agriculture intensive exclusivement exploitée par les investisseurs étrangers, dont les Africains eux-mêmes ne tireraient pas de bénéfices.

Pour toutes ces raisons, Kadidiatou Gazibo estime que même si les opportunités sont bel et bien réelles, penser les relations économiques avec l’Asie seulement à court terme ne pourra être que contreproductif pour l’Afrique. Pour promouvoir des relations économiques équitables, et véritablement gagnant-gagnant, il est nécessaire d’aller au-delà de la vénération béate pour les puissances asiatiques et considérer avec davantage de pragmatisme les risques associés à leur présence sur le continent africain.

La présence japonaise en Afrique : Le cas des volontaires de l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA).     

Pour clore ce séminaire sur les présences asiatiques en Afrique, Mme Kae Amo, chercheuse pour la Fondation France-Japon de l’EHESS, a présenté une étude de cas sur les volontaires japonais envoyés au Sénégal par l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA). Cette agence gouvernementale japonaise, qui coordonne l’aide publique au développement à l’international, est depuis les années 80 de plus en plus présente sur le continent africain. Dans les années 90, le Japon est même devenu le premier pays donateur pour le développement dans le monde. C’est aussi à cette période que l’intérêt de la société civile japonaise s’est fait croissant pour les questions de développement, et notamment pour le développement de l’Afrique.

Chaque année, JICA envoie au Sénégal des volontaires japonais, dont la mission sera de contribuer au développement socio-économique du pays par le biais de l’éducation, de la coopération inter-culturelle et des transferts technologiques. Tout au long de sa présentation, Kae Amo a tenu à souligner le caractère fondamentalement humaniste de cette présence japonaise au Sénégal. Cette implication va bien au-delà de l’investissement économique, car selon elle, les Japonais investis de cette mission établissent de véritables rapports humains avec les populations locales, et tentent d’éviter à tout prix les rapports de domination. Le soutien des volontaires aux secteurs de la santé, ou encore de l’éducation, passe par une implication directe dans les structures locales (hôpitaux, écoles…), et l’établissement de vrais partenariats qui encouragent la participation des travailleurs locaux. De plus, les transferts de technologie et de connaissance sont un des objectifs principaux de la JICA en Afrique. Les Japonais envoyés par l’agence apportent un précieux soutien technologique aux secteurs économiques stratégiques du pays, comme l’industrie de la pêche au Sénégal. De la même façon, ils tentent également de s’impliquer au quotidien pour faire progresser les questions sociales, les questions de sécurité et de respect des droits de l’Homme.

Mme Amo souligne que cette nouvelle approche de l’investissement sur le continent africain par le biais de l’aide au développement résulte du changement dans la perception de l’Afrique par le Japon. Si l’image qu’elle renvoyait au Japon était autrefois celle d’un continent pauvre, qui n’inspirait que de la compassion, cette vision a radicalement changé et le pays du soleil levant considère aujourd’hui l’Afrique comme un continent prometteur, un continent d’opportunités, et un eldorado pour l’avenir.

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