Dopées par une demande en très forte croissance, les filières laitières africaines font face à plusieurs écueils.
Les industries préfèrent importer du lait en poudre à moindre coût plutôt que de collecter de petites quantités de lait produites par les éleveurs familiaux dispersés et isolés. Pourtant, une meilleure intégration de l’élevage aux économies nationales pourrait constituer un levier de développement puissant, notamment au Sahel où le lait est un élément culturel central.
Aussi, l’idée de renforcer les filières qui valorisent le lait local s’impose peu à peu. L’expertise du Cirad accompagne cette dynamique à plusieurs niveaux. La parution d’une note d’orientation Cirad-Oxfam, et le démarrage du projet Africa-Milk, financé par l’Union européenne, illustrent l’éventail des activités du Cirad, entre expertise appliquée et recherches stratégiques.
Source CIRAD (la recherche agronomique pour le développement
www.cirad.fr
Le Cirad travaille depuis longtemps sur le lait en Afrique, en particulier au Sahel et en zone de Savanes où cette boisson est primordiale pour les populations d’éleveurs. Depuis quelques années, le marché ouest-africain est en forte hausse du fait de la croissance démographique. Il est devenu particulièrement attractif pour les multinationales laitières, si bien qu’aujourd’hui plusieurs grands groupes européens sont installés dans la région. Pourtant, bien que présents, ces groupes demeurent peu impliqués dans le développement de la production laitière locale, puisqu’ils utilisent principalement du lait en poudre importée comme matière première. Comment ces investissements impactent-ils les filières locales ? Menacent-ils à terme les centaines de milliers de familles d’éleveurs et de collecteurs de lait que compte l’Afrique de l‘Ouest ? Guillaume Duteurtre et Christian Corniaux, respectivement agroéconomiste et zootechnicien au Cirad, éclairent ces questions dans une note éditée avec l’ONG Oxfam.
Regain d’intérêt pour le lait local
Les auteurs de la note soulignent l’intérêt croissant pour la collecte de lait local. Bien qu’encore timide, cette tendance se manifeste par une volonté politique comme l’illustre notamment l’Offensive régionale « lait local » de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) lancée très prochainement. Le Cirad a d’ailleurs piloté l’étude de faisabilité de cette initiative. Parallèlement, une coalition d’ONG conduit depuis juin 2018 une campagne de plaidoyer intitulée Mon lait est local, ciblée sur 8 pays d’Afrique de l’Ouest. C’est dans ce cadre que la note d’orientation Cirad-Oxfam a été rédigée. Du côté du secteur privé, les motivations pour investir dans la collecte de lait local sont liées aux exigences de responsabilité sociale des entreprises, mais aussi à la volatilité du cours mondial du lait en poudre ainsi qu’au développement de la demande de produits de qualité.
Pour une alliance entre industriels et éleveurs laitiers
La marge de développement de la filière est très large : à l’heure actuelle, seuls 2 % de la production des élevages pastoraux et agropastoraux sont transformés par les laiteries. En cause : l’isolement des exploitations, leur production saisonnière et en petite quantité, mais aussi des systèmes de collecte peu performants. Pour Christian Corniaux, « c’est à ce niveau que les grands groupes laitiers européens installés en Afrique de l’Ouest peuvent agir. Bien orientés par des politiques incitatives et régulatrices, les industriels ont tout à gagner de la construction d’une nouvelle alliance avec les éleveurs. »
Africa-Milk : améliorer les rendements et la collecte
Au Cirad, plusieurs projets contribuent à mieux comprendre les filières locales de lait. C’est le cas d’Africa-Milk, un projet débuté fin 2018 et issu de l’initiative Leap-AGRI. « Face aux importations de lait en poudre et aux dégradations environnementales, ce projet vise à sécuriser l’approvisionnement des laiteries par deux leviers : une intensification écologique de la production de lait ; et la co-conception des systèmes de collecte efficaces et inclusifs » explique Éric Vall, zootechnicien au Cirad et coordinateur du projet. Pour ce faire, le projet va initier des plateformes d’innovation laitière locales qui réuniront des producteurs, des collecteurs, des laiteries et des chercheurs. Ensemble, tous ces acteurs pourront choisir les innovations techniques et institutionnelles adaptées à leur contexte et à leurs attentes. De telles plateformes existent d’ailleurs déjà et ont permis l’émergence d’innovations originales comme le développement de contrats entre laiteries et centres de collecte.
4 pays, 9 laiteries, 5 chemins d’impacts
Africa-Milk est porté par le Cirad et mis en œuvre avec 5 partenaires*.Les actions du projet impliquent neuf transformateurs dans quatre pays (Sénégal, Burkina Faso, Kenya et Madagascar) et couvrent ainsi une variété de contextes agroclimatiques et de production. Ce projet de recherche participative vise des impacts d’ordre social (création d’emplois, sécurité alimentaire et produits de meilleure qualité), d’ordre économique (hausse des revenus des éleveurs et dynamise de la filière) et d’ordre environnemental (systèmes de production et de collectes plus écologiques).
Intégration du genre et de la jeunesse dans Africa-Milk
La création de filières laitières à forte valeur ajoutée offre de nouvelles possibilités de faire participer les jeunes et les femmes agro-entrepreneures, non seulement en tant que productrices, mais également comme fournisseuses d’intrants et de services. Africa-Milk tiendra compte des risques d’exclusion des femmes et des jeunes dans l’économie laitière des ménages en leur offrant la possibilité de participer aux plateformes d’innovation.