Article AFRICAPRESSE.PARIS
Alors que l’on vient de commémorer les vingt ans de la disparition de Léopold Sédar Senghor, Denis Deschamps, DG CPCCAF, dresse ici un bilan raisonné de la composante économique de la Francophonie qui, depuis quelques années à peine, a commencé à se structurer. Aussi, il esquisse des pistes d’action pour la renforcer.
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On rappellera tout d’abord que la Francophonie fait partie des quatre ensembles structurés constitués après les décolonisations pour rassembler les pays ayant la même langue en partage : le Commonwealth pour les pays de langue anglaise, le CPLP pour ceux de langue portugaise, la SEGIP pour les pays de langue espagnole et enfin de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pour les pays de langue française.
« La Francophonie, c’est d’abord l’Afrique »
À la différence des autres ensembles linguistiques cités, la Francophonie n’a cependant pas été imaginée et voulue par l’ancienne puissance coloniale. En effet, l’OIF n’est pas cette « Communauté » inscrite dans la Constitution française de 1958, mais plutôt une institution internationale qui a été pensée et portée par les pays anciennement colonisés, essentiellement africains.
Au-delà de la culture, portée au plus haut par Léopold Sédar Senghor, ces pays – ayant le français en partage mais qui sont multilingues – ont bien vite perçu la nécessité pour leurs économies de trouver des débouchés commerciaux et autres, grâce à une instance multilatérale comme l’OIF, nécessairement distincte de la France, qui est le seul pays de cet ensemble linguistique ayant le français comme langue officielle.
Autrement dit, la Francophonie n’est surtout pas une extension de la France, et ce d’autant plus que qu’elle concerne très majoritairement l’Afrique : pour mémoire, Kinshasa est la première ville francophone du monde, avec 21 millions d’habitants.
Ainsi, la Francophonie, c’est d’abord l’Afrique, avec 200 millions de francophones sur le continent sur les 300 millions de francophones recensés dans le monde, et qui constituent un espace géographique non homogène, confronté aujourd’hui à des enjeux majeurs tels que le développement exponentiel de l’économie de la donnée (cf. le rapport 2021 du CNUCED), la prise en compte des objectifs du développement durable (cf. les ODD définis par l’ONU en 2015) et l’approfondissement de la relation économique Union européenne – Afrique… c’est-à-dire au-delà-même de ce qui a motivé la stratégie de francophonie économique décidée à Dakar en 2014, et que l’OIF a largement renouvelée en novembre 2020.
Poser des actes concrets pour promouvoir la « francophonie économique »
Certes, il est indéniable qu’il y a un gain à travailler et commercer dans la même langue, mais au regard des réalités et du vécu de la francophonie économique, on doit admettre qu’il y a encore d’importantes marges de progression…
Bien évidemment, par rapport à ce constat, d’aucuns ne manqueront pas d’évoquer l’explosion démographique de l’Afrique, qui devrait entraîner une forte augmentation du nombre de francophones dans le monde. Mais, malheureusement, cette vision idyllique doit être très fortement nuancée par la très faible part de l’Afrique dans le commerce mondial et, également, au vu de la perte de parts de marchés africains par les francophones extra-africains (en particulier, la France) face aux pratiques plus agressives ou habiles de pays comme la Chine, la Turquie, la Russie, Israël…
Au vu de ces données, certains ont récemment évoqué la (re)constitution de la francophonie économique à partir du regroupement des patronats francophones. Cependant, tout cela semble encore bien loin des excellents modèles économiques cités plus haut, à savoir le Commonwealth et l’organisation de pays lusophones. Plus préoccupant encore, on n’a pas vraiment l’impression d’être sorti de l’incantation dont nos politiques (au sens large) sont toujours friands.
Or, vingt ans après la mort de Senghor, le moment est certainement venu de sortir de l’incantation pour que la « francophonie économique » trouve enfin chair.
Déjà, l’OIF agit pour que la francophonie économique s’incarne enfin, autour d’actions concrètes que la Francophonie pilote et met en œuvre, qu’il s’agisse de :
L’organisation de missions économiques et commerciales francophones ;
Le déploiement d’une stratégie numérique (cf. le programme de formations D-Clic) ;
Le soutien à l’entrepreneuriat (avec la facilitation de l’accès au financement) ;
L’appui aux actions de la CNUDCI (droit commercial international).
La CPCCAF, un acteur pionnier
Pour ce qui concerne la Conférence permanente des chambres consulaires africaines te francophones (CPCCAF), on rappellera que celle-ci s’emploie depuis 1973 à soutenir le développement économique africain, moyennant le renforcement des capacités et compétences des organisations intermédiaires de son réseau, pour qu’elles puissent mettre les entreprises africaines au niveau des entreprises francophones extra-africaines, facilitant la conclusion entre elles de partenariats équilibrés et harmonieux.
La CPCCAF intervient ainsi en complément, en amont et en aval, des missions économiques et commerciales menées par d’autres acteurs, pour mettre en place des actions de coopération pour le développement, permettant aux chambres locales de son réseau international d’apporter les meilleurs services possibles à leurs entreprises.
Grâce à ses études et aussi à son Baromètre annuel des PME africaines – 20 000 entreprises répondantes dans 20 pays, depuis 2013 –, la CPCCAF assure une meilleure visibilité des économies africaines, nécessaire et propice à la « dérisquisation » des investissements sur le continent.
Enfin, avec le dispositif Franco-Fil (plateforme, concours, formations et événements) développé en 2020 avec son partenaire, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (SEIN), la CPCCAF pousse le développement de jeunes entreprises innovantes qui intègrent les objectifs du développement durable (ODD) dans leur stratégie.
À son modeste niveau, mais toujours à proximité immédiate des activités et entreprises que ses membres accompagnent sur le terrain, on peut sans doute affirmer que la CPCCAF incarne une francophonie économique que l’aide publique française au développement ne sait pas suffisamment soutenir…