Le 24 juin dernier, Expertise France réunissait des intervenants et intervenantes venus du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre lors d’un Rendez-vous de l’Expertise sur le thème de la justice de genre et du développement. L’objectif : identifier les bonnes pratiques en matière d’intégration du genre dans les projets de développement, pour que la coopération technique soit porteuse de changement et contribue à bâtir des sociétés enfin égalitaires.
Selon le Forum économique mondial, il faudrait désormais 135,6 ans avant de parvenir à la parité à l’échelle mondiale. C’est 36 ans de plus qu’avant la crise sanitaire liée à la Covid-19. Profondément ancrées dans notre société, les inégalités de genre se manifestent dans différents secteurs et les leviers pour y parvenir sont nombreux.
Dans ce contexte, comment la coopération internationale peut-elle apporter des solutions concrètes et durables pour progresser vers l’égalité de genre ?
L’affaire de toutes et tous
L’enjeu est tout d’abord de prendre en compte la question du genre dans l’ensemble des projets de coopération afin d’y intégrer les besoins spécifiques des femmes et favoriser leur implication dans les activités, tout en s’assurant que le projet n’aggrave pas les inégalités existantes. « Il faut que chacun se sente concerné. Pour chaque projet, il faut s’obliger à se poser la question et regarder ce qu’il est possible de faire pour intégrer le genre, quelle que soit la thématique que l’on traite », explique Hervé Conan, directeur général adjoint d’Expertise France en charge des opérations.
A titre d’exemple, la prise en compte du genre dans la lutte contre la criminalité organisée en Amérique latine est ainsi considérée comme essentielle par quatorze pays partenaires du programme européen EL PAcCTO. De même, au Chili, le programme européen EUROsociAL+ – auquel Expertise France est associée – a été sollicité par le ministère de la Femme et de l’Égalité des genres et certaines universités pour mieux intégrer les questions de genre dans le processus de création de la future constitution du pays.
Déconstruire les stéréotypes dans les projets de coopération
Si l’évolution du cadre juridique et des politiques publiques est essentielle, agir en faveur de l’égalité de genre requiert aussi de lutter activement contre les stéréotypes « Il est impératif de lutter contre les stéréotypes de genre qu’on associe trop souvent à la féminité, et il est tout aussi essentiel de déconstruire ce que l’on entend par masculinité » insiste Isabelle Guérin. Le rôle de l’éducation est donc primordial, mais pour que cela soit efficace, il faut qu’une attention particulière soit portée aux contenus pédagogiques afin qu’ils ne reproduisent pas les stéréotypes existants.
Au Burkina Faso, c’est contre les stéréotypes liés au choix du secteur d’activité professionnelle que le programme « Boucle du Mouhoun, Nord et Sahel : Territoires créateurs d’emplois » s’est mobilisé. « La volonté d’accompagner les femmes à entreprendre dans ces métiers dits « métiers d’hommes » nous a amené à prendre des mesures, comme la fixation de quotas lors de la sélection des personnes ciblées par ces projets, mais aussi à rapprocher les formations des bénéficiaires et à prioriser les femmes lors de la rétrocession du matériel qui a servi pour la formation », explique Kadidia Ouattara, cheffe de ce programme porté par Expertise France sur financement de l’Agence française de développement.
L’enjeu : créer des modèles et générer un effet de foule, pouvant inspirer d’autres femmes. Sans oublier que, pour qu’elles puissent effectivement devenir autonomes économiquement, il est essentiel de « renforcer les capacités des femmes et, encore au-delà, les financer », explique Oulimata Sarr, directrice d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Appuyer les acteurs locaux
« Il nous semble primordial de soutenir les organisations de la société civile, les mouvements, les groupements de défense des droits des femmes », explique la cheffe du Fonds d’appui à des initiatives innovantes genre au Sahel, Paule Elise Henry, « parce que ce sont elles qui sont les plus proches des populations ».
Financé par l’AFD, ce Fonds vise à faire émerger des initiatives innovantes portées par des organisations de la société civile locales, en faveur de la réduction des inégalités de genre, mais aussi à renforcer les capacités des organisations financées et à capitaliser sur leurs expériences respectives. « Il s’agit d’aider, mais il s’agit aussi de recevoir : je pense qu’on a beaucoup de leçons à tirer de toutes ces formes de lutte qui montrent que d’autres futurs sont possibles et qui peuvent être source d’inspiration, y compris dans nos propres sociétés », insiste quant à elle Isabelle Guérin.
Des leçons à tirer de toutes ces formes de lutte
Ecouter le terrain pour faire bouger les curseurs
Cependant, lutter efficacement contre les inégalités de genre requiert aussi de savoir contextualiser et de reconnaître les résistances qui peuvent se dessiner – par exemple face à certains concepts ou mots utilisés. « Chaque société fixe ses normes de genre, et certaines sociétés considèrent que ces normes sont supérieures à celles des autres », explique Isabelle Guérin, directrice de recherche à l’IRD, soulignant les effets pervers et les résistances que cela peut engendrer.
Il faut être prudent dans l’usage des mots
Dès lors, l’usage de certains mots et concepts peuvent freiner l’efficacité du projet, par exemple dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive. « Il faut être prudent dans l’usage des mots », explique Philippe Lacoste, diplomate et directeur du Développement durable au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Dans certains pays, « si vous parlez d’avortement, vous êtes sûr d’avoir des réactions très fortes (…) tandis que l’usage du terme ‘espacement des naissances’ ne pose pas de problème particulier », ajoute-t-il. « L’expertise technique doit être mobilisée dans un dialogue d’égal à égal, de pair à pair (…) pour créer des solutions en commun », explique Jérémie Pellet, directeur général d’Expertise France. A ce titre, il rappelle l’exemple du programme EUROsociAL+ où les échanges entre l’Europe et l’Amérique latine sont mutuellement bénéfiques.
L’expertise technique doit être mobilisée pour créer des solutions en commun
La bonne compréhension du contexte d’intervention et la connaissance de nos propres biais sont donc primordiales, tout comme l’implication de l’ensemble de la société. « Au niveau du Sahel, nos partenariats sont avec tout le monde : les chefs traditionnels, les chefs religieux, puisqu’on sait que pour faire bouger les lignes et changer les normes sociales, nous avons besoin de l’engagement des hommes », explique Oulimata Sarr.
Former les professionnels du développement
« Travailler sur l’inégalité de genre suppose du volontarisme, des engagements et de la redevabilité », explique Hervé Conan. La feuille de route pour l’égalité de genre 2020-2022 de l’agence se fait l’écho de ce besoin en inscrivant le genre en tant qu’approche systémique et systématique. De plus, Expertise France s’est engagée à ce que 50% des nouveaux projets signés d’ici 2022 intègrent la réduction des inégalités de genre – soit comme objectif principal, soit avec un objectif spécifique sur le genre.
Du volontarisme, des engagements, de la redevabilité
« Cela demande de se doter d’outils », explique Jérémie Pellet. Pour répondre à ce besoin, Expertise France renforce les capacités de ses équipes au siège et sur le terrain en élaborant des supports adaptés. C’est dans cette optique que l’agence développe, avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et l’AFD, le MOOC « Genre et développement » destiné aux professionnels de la coopération et du développement. Celui-ci sera accessible à la rentrée 2021.